L’affaire Yeezy

En toute honnêteté, comme je l’ai dit dans mon article précédent, je n’irai pas voir Kanye West samedi soir, ce n’est définitivement pas mon truc. Mais je vais faire abstraction de mon avis personnel et rester objectif dans ce qui suit.

Il semble que la programmation de Yeezy (puisque c’es son surnom) à Glastonbury 2015, soit en train de devenir une affaire en Grande-Bretagne. Une pétition vient d’être lancée sur change.org, pour déprogrammer ce rappeur, qui en 24h00 a déjà reçu 30 000 signatures. Ce n’est pas rien si on met ce chiffre en regard des 130 000 spectateurs, ou des 2 millions de personnes enregistrées sur le système de réservation. Le mot d’ordre des pétitionaires est le suivant:

We spend hundreds of pounds to attend Glasto, and by doing so, we want a certain level of entertainment. Kanye West is a living insult.
Nous avons dépensé des centaines de livres pour assister à Glasto, et ce faisant, nous attendons un certain niveau dans la qualité des spectacles. Kanye West est une insulte vivante.

Si l’on en juge par les réactions sur Twitter, où en définitive on pourrait attendre des réactions partagées, il n’en est rien. A de rares exceptions près, ce n’est qu’étonnement, ou rejet pur et simple. Quoi qu’il en soit, personne ne semble comprendre la décision de Michael Eavis et sa fille, de donner le plus prestigieux créneau, celui du samedi, à cet artiste. Nous sommes donc bel et bien en présence d’un clash entre les organisateurs et le public, similaire à celui causé par la venue de Jay-Z en 2008, et qui avait été cause du fait que le festival n’était pas sold-out le jour de son ouverture. Il est à noter que hormis cette année là, depuis 2003, la totalité des places s’est toujours vendue en moins de 24h, et que c’est après cette affaire que la pré-vente a été mise en place, sans doute à cause du trafic de revente de billets, mais aussi sans doute pour s’assurer des ventes préalables.

Mais que lui reproche-t-on au juste. Une réponse peut se trouver dans l’interview de Neil Lonsdale sur Gigwise, qui n’est autre que celui qui a initié cette pétition. Neil Lonsdale se présente comme un habitué des festivals, mais qui jusqu’alors n’a jamais eu l’occasion de participer à Glastonbury. C’est donc un virgin, qui a réussi à obtenir des places, et qui attendait impatience des nouvelles du line-up, quand le nom de Kayne West est apparu, pour sa plus grande déception. Voici ce qu’il en dit:

Does Kanye represent the Glasto Spirit?
No. He doesn’t. He shouldn’t represent anything. His songs are lyrically appalling. He sings about ‘bitches’ and ‘n*****’. He totally disrespected Beck at the recent Grammys. His Brits performance was just threatening.
Est-ce que Kanye représente l’esprit de Glasto?
Non. Ce n’est pas le cas. Il ne représente rien. Ses chansons sont affligeantes. Il chante des trucs parlant de ‘putes » et de ‘nègres ». Il a totalement manqué de respect pour Beck aux récents Grammys. Ses représentations aux Brit Awards était effrayante.

L’interview continue, où Neil Lonsdale explique que son rejet porte davantage sur la personne de Kanye West, et certainement pas sur d’autres considérations comme son style musicale, ou encore moins la couleur de sa peau.

Sans doute, certains d’entre-vous, connaissent bien cet artiste, sa musique, mais aussi ses frasques. Mais, comme je l’ai dit en préambule pas moi… Alors qu’en est-il réellement?

Kanye West, est donc un rappeur. En fait, il a commencé comme producteur, ayant en particulier travaillé avec Jay-Z. C’est en partie grâce à ce dernier qu’il va quitter l’ombre et accéder à la scène. Depuis 2004, il a sorti 7 albums. Il est connu aussi pour être le mari de Kim Kardashian, et c’est par là que commence son défaut d’image, Kim Kardashian ne devant sa notoriété qu’à quelques sex tapes, et à des reality shows. Par ailleurs, il est connu aussi pour quelques coups d’éclats, certains plus ou moins excusables. Il a en particulier interpellé le président Georges W Bush, lors d’une émission de soutient en faveur des victimes de l’ouragan Katrina, il improvise une déclaration, et conclue en déclarant que « Geoges Bush ne se préoccupe pas des noirs ». Lors de cette intervention, on sent un Kanye West visiblement très bouleversé, et qui maladroitement tente d’exprimer des sentiments confus. D’autres coups d’éclat, moins reluisants, sont à son actif, et généralement liés à des cérémonies de remises de récompenses musicales. En 2004 il surgit sur la scène des American Music Awards, déclare considérer qu’il aurait dû recevoir la récompense du meilleur nouvel artiste, et qu’il a été volé. En 2006, lorsque Justice reçoit une récompense pour le meilleur clip, il débarque sur scène en déclarant que s’il n’est pas désigné comme meilleur artiste Hip Hop, le show perdra toute crédibilité. Ouf! On lui a donné la récompense!!! En 2009, il débarque sur la scène des Video Music Awards où Taylor Swift vient de recevoir la récompense de la meilleure vidéo féminine de l’année, il la coupe et déclare que Beyoncé (la femme de son pote Jay-Z) a produit la meilleure vidéo de tous les temps. Je vous passe les péripéties qui ont suivi l’incident… mais la condamnation des autres artistes, ceci incluant Beyoncé involontairement impliquée, a été unanime. Et comme si ça ne suffisait pas… il a recommencé cette année aux Grammy Awards, considérant que Beyoncé méritait la récompense à la place de Beck, il grimpe sur scène, mais se ravise. Tout le monde imagine une blague, mais il confirmera que cela n’en était pas une par ses déclarations juste après la cérémonie, selon lui: « Beck devrait respecter l’art, et rendre son trophé à Beyoncé ».

Outre son comportement plutôt irrationnel et impulsif, le fait qu’il jure en permanence lors de ses déclarations (ça en France on s’en choquerait moins que les anglo saxons), il semble qu’une certaine forme d’obsession le poursuive; le fait que les noirs sont systématiquement moins bien considérés que les blancs. Son père faisait partie des black panthers, et on constate chez lui une indéniable forme d’activisme pro-noirs. De mon point de vue, il semble en définitive que ce ne soit pas tant le fond qui soit condamnable chez lui, mais plutôt la forme. Le fait est, que beaucoup de maladresse, voire de délire de persécution, en vient à le faire agir de façon inexcusable. On lui prête aussi des propos antisémites, mais à l’inverse on lui doit de s’être prononcé contre l’homophobie dans le milieu du rap.

Je pense que la conclusion de tout ça peut se résumer dans une anecdote impliquant Barack Obama. Dans un permier temps Kanye West déclare que le président américain était régulièrement en contact avec lui et sa femme, Kim: « Obama nous appelle à la maison », « Je suis un serviteur (de mon pays) avec ma voix, ma capacité de construire des relations avec des gens incroyables, de parler à des gens ou d’appeler Obama à n’importe quel moment ». Le président commente alors: « J’ai rencontré Kanye West deux fois. Une fois lorsque j’étais sénateur et qu’il venait tout juste de percer et puis il y a environ 6 mois. J’adore sa musique, mais je ne pense pas avoir son numéro ». Par ailleurs Barack Obama avait déjà commenté l’affaire Taylor Swift et le comportement de Yeezy par le simple adjectif « jackass »= »crétin ».

Le crétin en question, comme le font remarquer un certain nombre de personnes n’occupera la Pyramide que pendant 90 minutes, et il y a à Glastonbury une multitude d’autres scènes. Ce n’est donc pas pour moi un raison de ne pas solder mon ticket, et me laisser gâcher la fête. Peut-être certains, parmis les anciens un peu blasés peut-être, décideront d’opérer un boycott. Il est clair que la décision de choisir cet artiste là où le délire commun envisageait une reformation de Led Zep, ou d’Oasis, le retour de Blur, ou de Bowie, et j’en passe… peut exaspérer. C’est clair qu’on attend mieux de Glastonbury. Mais ce festival ne tient pas qu’à ses têtes d’affiche loin de là, et je me console en me disant que justement il ne sera pas difficile de trouver bien mieux que Yeezy sur de minuscules scènes perdues par exemple dans Green Fields, ou Silver Hayes.