Il est donc 19h00 lorsque nous quittons le King William pub, et retournons à la voiture, restée sur le parking du supermarché Tesco de Shepton Mallet. En marchant, nous constatons bien une certaine intensification du trafic, ce qui pourrait être normal au moment de l’ouverture des parkings de Glasto, mais ce n’est pas usuel. On voit circuler beaucoup de véhicules arborant divers autocollants de parking du festival, surtout ceux des équipes d’organisation. Arrivés à la voiture, justement avant de partir, nous collons notre autocollant de parking.
Nous quittons le stationnement, et n’avons pas fait cent mètres, que nous arrivons dans une file de voitures que nous n’avions pas remarquée en rejoignant le parking à pied. Pourtant, elle était bien visible depuis le supermarché car elle est déjà assez longue, et très statique. Nous nous mettons dans la file. Nous constatons que des voitures arrivent de toutes les intersections sur ce rond-point pour s’engager vers la route de Canard’s Grave en direction de l’intersection A361 et A37, les deux routes qui desservent le festival. Le débit est très faible, et moins d’une voiture à la minute s’engage sur le rond-point. Il semble que la route soit complètement saturée. Je suis alors doublement surpris. D’abord, lorsque nous sommes passés au même endroit 2 heures plus tôt, il n’y avait aucun signe de tels encombrements. Comment sont-ils apparus? Pourquoi les routes sont-elles si saturées? Et cela fait maintenant la 5eme fois que je viens au festival, j’ai fréquenté ces routes chaque année; le mardi soir à 20h00 elles ont toujours été désertes. Que se passe-t-il? Nous ne le savons pas encore, mais nous nous nous confrontons déjà à la principale difficulté qui va marquer l’édition 2016 du festival de Glastonbury: la boue!
Bloqués en attente d’entrer sur le rond point, nous avons largement le temps de consulter les applications routières. Waze nous indique que pratiquement toutes les routes autour du festival sont bloquées. Pour ceux qui ne connaitraient pas cette application, c’est en quelque sorte un GPS, mais dont tous les utilisateurs contribuent à donner des informations de trafic routier. Quand nous étions bloqués sur notre rond-point, Waze enregistrait notre immobilité, et cette information avec celle des autres utilisateurs sont alors centralisées et permettent à tous d’en être informés. L’intérêt est que Waze tient compte de tous ces paramètres pour modifier les itinéraires qu’il propose afin d’éviter les encombrements. Pour en revenir aux bouchons justement indiqués par le GPS, ce dernier en indique sur la Canard’s Grave road, mais aussi sur la A37, et la A361, toute la zone du festival est donc bien saturée. A partir de cet instant, je tente de profiter de ma connaissance géographique des lieux. Je déduis de ce qui est en train de se dérouler, que les deux intersections principales, le rond point de Canard’s Grave situé à 1km environ, et que l’intersection A37/A361 500m plus loin doivent voir arriver de nombreux véhicules qui s’insèrent lentement. Elles doivent être autant, sinon plus saturées qu’ici. Nous avançons environ de 10 ou 20m toutes les 5 minutes, donc à ce rythme il faudrait une dizaine d’heures pour parcourir les 2km qui nous séparent de l’entrée. Le calcul semble délirant, mais on sent bien qu’il y en a pour des heures, deux ou cinq, qui sait? L’avenir nous dira que cette dernière estimation était la bonne. Du coup, je propose de contourner complétement le problème.
Avant de continuer avec ces péripéties, je veux revenir sur un point important à ce stade; le choix de l’entrée au festival. Initialement, c’est à dire des semaines avant le le début de Glastonbury j’avais envisagé d’entrer par la Pedestrian Gate C, c’est à dire la seule porte du festival que je n’aie jamais franchi. Pour cela il fallait rejoindre la Blue Gate, entrée des parkings bleus qui se trouvent être les plus proches de la porte C. Pendant toute la journée, j’avais tourné cette idée dans ma tête, considérant d’une part mon envie de découvrir cet accès, mais d’autre part, l’inconvénient d’une marche tout de même plus longue des parkings à la porte. De plus en plus, compte tenu de ‘l’incertitude météorologique, le fait de ne pas connaitre le terrain, et la distance relativement élevée entre les parkings et la porte, l’hypothèse porte C me semble de plus en plus s’avérer être une galère. Au moment même où nous retrouvons dans les encombrements, et qu’il faut indiquer au GPS notre destination, je choisis de jouer la sécurité, d’entrer par un chemin que je maitrise totalement, et qui a l’avantage de nécessiter une marche plus courte: la porte B et les parkings violets. Sur le GPS, nous entrons donc les coordonnées de la Purple Gate.
A Shepton Mallet, nous nous trouvons approximativement au coin Nord-Est du festival, plus précisément à 1km au Nord du coin supérieur droit du festival sur la carte. De là où nous sommes, si nous allons vers l’Est nous nous éloignerons du festival, et donc des encombrements. Par ailleurs, à l’Est de la A34, il existe tout un réseau de petites routes de campagne, mon idée est de rejoindre ce réseau, et de là essayer de redescendre vers le Sud, et rejoindre la A37 à hauteur de l’entrée Violette. En consultant Waze, il semble à priori que ces routes soient bel et bien dégagées. Mais l’hypothèse est quelque peu spécieuse, y-a-t’il seulement un utilisateur Waze sur ces routes? Quoi qu’il en soit, nous laissons cette application en fonction, et nous en servons à titre informatif.
Comme font certains véhicules sur le rond-point, nous nous dégageons un peu à l’arrache, et repartons en sens inverse pour trouver des rues dans Shepton Mallet qui ne soient pas saturées de circulation. C’est chose possible en roulant vers le Nord, puisque l’essentiel du trafic part vers le Sud, à travers les petites rues de la ville. Parfois, souvent même, en sens inverse la circulation est bloquée. Nous obliquons ensuite vers l’Est, nous éloignant toujours du festival, et assez rapidement nous nous retrouvons la A 37 qui est complétement saturée en direction du Sud. Nous traversons la file de voitures pour passer à l’Est. A partir de là les routes sont complétement dégagées, visiblement les seuls véhicules qui circulent par là, sont ceux des locaux, qui connaissent les routes permettant d’éviter l’embouteillage en cours autour du festival. Une fois suffisamment redescendus vers le Sud, il ne nous reste plus qu’à obliquer vers l’Ouest pour rejoindre la A37 où les accès se trouvent. La première route vers l’Ouest que nous trouvons est fermée. Nous poursuivons plus au Sud, et trouvons enfin notre bonheur, sans rencontrer le moindre embouteillage, nous arrivons sur la A37, qui est complétement saturée en direction du Nord. Nous nous insérons dans le trafic, à environ 1km au Sud de la Purple Gate par laquelle nous voulons entrer. Il est 19h30, les parkings doivent officiellement ouvrir dans 30 minutes, c’est approximativement le temps qu’il nous faudra pour parcourir la distance qui nous sépare de l’entrée des parkings. Pendant l’embouteillage, Laurent s’aperçoit qu’une limace progresse dans l’herbe au bord de la route, et constate que pendant un long moment, nous n’allons pas plus vite qu’elle.
En chemin, nous passons devant une des entrées, où nous constatons qu’un camping car manœuvre avec difficulté car le terrain est très boueux. Nous comprenons alors que ce qui cause ces embouteillages inédits, c’est la difficulté qu’ont l’ensemble des camping-car à circuler dans les parkings. Mais pour l’instant nous ne mesurons pas encore bien l’étendue des dégâts.
Nous arrivons donc à l’entrée violette, et nous engageons en direction de cette entrée. Deux stewards sont là, et immédiatement nous arrêtent. Ils nous indiquent que nous ne pouvons pas entrer par là, que nous n’avons pas le bon autocollant sur la voiture. Et même, assez sèchement, ils nous imposent de dégager l’entrée. Sûr de moi, je m’énerve, explique au gars qu’on est à l’entrée d’un parking public. Rien n’y fait. Je lui demande alors où il veut que j’aille me garer, et là c’est le summum, le mec me réponds: « J’en sais rien, mais reste pas la! » Laurent commence à manœuvrer pour reprendre la route. A ce moment là, je nous imagine retournant dans le tas, pour aller je ne sais où, et surtout passer des heures à faire la queue. J’indique donc à Laurent de ne pas bouger. Les deux cerbères commencent à s’énerver. Mais à cet instant je vois arriver un troisième steward, et j’ai l’intuition que peut être c’est le responsable des deux autres. Je descend de la voiture, et je vais voir le gars. Je lui explique mon problème; que je veux entrer sur les parkings violets et atteindre la porte B, mais qu’on m’interdit de le faire. Lui me dit que pour cela je dois avoir un autocollant de parking, il imagine visiblement que c’est cette lacune la raison pour laquelle les deux autres m’interdisent l’accès. Il sort d’ailleurs de sa poche une grosse pile autocollants trinagulaires et me propose de m’en vendre un. Évidemment, je lui réponds que ce n’est pas nécessaire puisque j’en ai déjà un collé à mon pare-brise. Constatant que c’est bien le cas, il se tourne alors vers les deux sbires, et sort un livret contenant sur un dizaine de pages tous les modèles d’autocollants admis au festival. Il leur montre le mien et leur explique qu’évidemment, il faut en autoriser l’accès. Le gars qui avait été le plus virulent, se confond en excuses, et je retourne à la voiture. C’est OK, nous pouvons entrer sur les parkings.
Cet épisode assez stressant – car nous aurions pu nous retrouver à retourner à Canard’s Grave qui se trouvait devant nous, et y passer encore une bonne heure – démontre la totale désorganisation dans laquelle visiblement se sont retrouvés les organisateurs à cause de la boue. Cela a dû être un véritable calvaire pendant plusieurs jours sur les parkings. En particulier pour les campings-cars, mais aussi les camions et toute la logistique qui devait déjà depuis le week-end patauger dans les champs gorgés d’eau. C’est aussi l’occasion de redire à ceux qui envisagent de se rendre à Glastonbury, de préparer leur voyage. Si je n’avais pas été plus certain de mon bon droit que les deux incompétents à l’entrée, sans doute nous serions nous posé la question de savoir par où entrer si l’entrée n’était pas là, et surtout où aller désormais, tout en tombant dans un énorme embouteillage. A contrario, la connaissance des lieux nous a permis d’enter au festival en moins d’une heure, alors que nous apprendrons plus tard que les autres festivaliers mettront plusieurs heures à y parvenir. Les média évoqueront même 11h pour certaines personnes.
Lorsque nous nous engageons sur les chemins qui traversent les parkings bleus pour rejoindre un peu plus loin la zone violette, on constate immédiatement que la boue est omniprésente, et surtout très molle. On nous dirige finalement vers la petite colline qui surplombe les Purple Car Park. Avant d’entamer la montée, un steward nous demande même de prendre de l’élan. Une fois arrivés en haut, nous obliquons à gauche et nous garons en haut du champ. Ça y-est nous sommes à Glasto!
Je suis surpris de voir autant de voitures en haut du champ, j’imagine que pas mal de personnes sont arrivées en avance, et je m’attends donc à à trouver une queue déjà conséquente. En revanche, je ne la vois , les années précédentes elle se formait au pied du champ où nous nous trouvons. Nous prenons nos sacs, la tente, et partons en direction de la porte et de la queue. En fait nous marchons un bon moment, et avançons très près de la porte. Finalement, nous découvrons que la queue démarre juste avant la dernière route; Cockmill Lane. Le terrain est détrempé, et les chemins de terre extrêmement boueux. Par endroits nous traversons de grandes flaques de boue liquide. Nous sommes très près de l’entrée, là nous trouvons un peu d’herbe « propre » en bordure du chemin, où nous pouvons poser la tente et les sacs. Et, surprise… il n’y a pas plus de 30 personnes dans la queue.
C’est là que les dernières pièces du puzzle se mettent en place dans mon cerveau. Nous comprenons que les parkings sont saturés d’humidité, certains emplacements ne sont pas praticables. La partie basse du parking violet, où d’habitude les bénévoles et membres de l’organisation se garent, doit être inaccessible. Du coup, toutes les voitures ont été comme nous garées en hauteur, où l’eau n’a pas pu s’accumuler. La quantité de véhicules que nous avons vu en arrivant, n’était pas celles des festivaliers, mais des équipes d’organisation. A contrario, très peu de festivaliers sont arrivés sur le site, justement bloqués par les embouteillages. Nous faisons donc partie des premiers. Les problèmes de trafic sont causés depuis 18h00 par les gros véhicules, campings-cars et caravanes, qui peinent à évoluer dans les parkings et à se garer. On peut supposer que de nombreux véhicules, y compris des voitures, ont dû s’embourber, nécessitant que des stewards interviennent en poussant, et même sans doute remorquent certains véhicules.
En regardant ces images, tournées par un motard le 21 juin au soir, semble-t-il au même moment où nous roulions vers le festival, je réalise à postériori que d’avoir rejoint le festival en moins d’une heure a été réel un exploit. Ce film démarre exactement sur le rond point d’où nous sommes partis à Shepton Mallet, et suit la route que nous devions prendre jusqu’au rond point de Canard’s Grave (4:31), puis la A37 jusqu’à l’intersection avec la A361 (7:42). Là le motard tourne à droite, et quitte notre route pour continuer sur la A361, alors que nous, devions aller à gauche sur la A37. Mais cette intersection se trouve à moins de 300m de l’entrée violette. Ce motard fait en à peu près 8 minutes, ce que certains ont mis des heures à parcourir (nous verrons cela dans les chapitres suivants).
J’en profite pour vous inviter à raconter comment vous aussi vous êtes entrés au festival, combien de temps cela vous a pris, et quelles ont été vos galères. N’hésitez pas, je suis certain que nombre d’entre vous ont des histoires passionnantes à raconter à ce sujet.
Pour terminer cette longue journée, nous nous installons dans la queue. Nous bénissons nos chaises, car il eut été très désagréable, voire impossible de s’asseoir par terre. Nous prenons un petit en-cas, sifflons une bière ou deux. Et encore, nous consultons la météo qui est incertaine. Mais pour l’instant il ne pleut pas, et c’est très bien. Pourvu que ça dure… Vers minuit, je m’endors assis sur mon fauteuil.
Photo: Laurent